Prise de position concernant la gestion des boues épuratoires et les installations de Soil-Concept SA

Suite aux publications récentes concernant la gestion et le traitement des boues épuratoires, et plus particulièrement les activités et les installations de l'entreprise Soil-Concept SA, le ministère de l'Environnement, du Climat et du Développement durable et l'Administration de l'environnement tiennent à préciser certains faits.

Tout d'abord, il y a lieu de clarifier que l'étude commanditée par le ministère de l'Environnement, du Climat et du Développement durable en partenariat avec les communes, syndicats de communes et administrations étatiques portant sur la stratégie nationale relative à la gestion des boues épuratoires est à dissocier de la situation concernant les autorisations, ainsi que de la conformité de certaines installations exploitées par Soil-Concept SA.

Il faut également rappeler que la société Soil-Concept SA doit être considérée comme toute autre société privée. Le fait que la société ait par le passé bénéficié de subventions de la part de l'État luxembourgeois ne l'exempte pas de respecter les législations en vigueur.

1. Les objectifs de la stratégie nationale relative à la gestion des boues épuratoires

Les boues épuratoires sont un produit secondaire généré par une station d'épuration lors du traitement des eaux usées. Une station d'épuration produit environ un excédent de 50 g de matière sèche par jour et par habitant. Sachant que le nombre de stations d'épuration est croissant, que les volumes d'eaux usées à traiter augmentent et que les rendements épuratoires ne cessent de croître, les volumes de boues sont également constamment en augmentation. L'ensemble des stations d'épuration au Grand-Duché de Luxembourg produit actuellement environ 9.100 tonnes de boues épuratoires par an et ce chiffre devrait atteindre près de 15.000 tonnes en 2040, d'où la nécessité de planifier un traitement durable de ces boues.

Il est à noter qu'au Luxembourg, la collecte, l'évacuation et l'épuration des eaux usées ainsi que la gestion des boues épuratoires est une mission qui doit être assurée par les communes. Cependant une collaboration entre tous les acteurs permettrait de mettre en place une solution plus efficace. Il est donc plus judicieux d'avoir une gestion à l'échelle nationale dans le but de coordonner les travaux et de mettre en place une stratégie à long terme permettant de gérer les boues épuratoires produites par les stations luxembourgeoises. Dans cette optique et dans le but de soutenir les acteurs communaux dans leur mission, le ministère de l'Environnement, du Climat et du Développement durable a initié un projet en 2019 conjointement avec les communes et les syndicats intercommunaux en charge de la dépollution des eaux urbaines résiduaires, ainsi qu'avec l'Administration de la gestion de l'eau, l'Administration de l'environnement et l'Administration des services techniques de l'agriculture.

Suite à un appel à candidature et publication d'avis de marché public européen, un bureau d'études a été chargé de dresser un état des lieux et une expectative des quantités et des qualités des boues épuratoires issues des différentes stations de traitement luxembourgeoises, de prendre en compte la problématique de la récupération de phosphore depuis les eaux usées ou depuis les boues épuratoires et de proposer des solutions concrètes pour l'ensemble des acteurs publics luxembourgeois pour le traitement durable des boues épuratoires grâce à une évaluation technique et financière.

Dans une première étape, le bureau d'études a procédé à un inventaire des quantités et des qualités de boues épuratoires produites actuellement au Luxembourg par les stations d'épuration communales et a estimé la production future. Lors de cette étape, trois utilisations existantes au Luxembourg ont également été analysées en détail. Il s'agit du séchage des boues épuratoires dans les halles de séchage du syndicat intercommunal STEP à Bettembourg, de la combustion des boues épuratoires dans la cimenterie de la société Cimalux à Esch-sur-Alzette, ainsi que le compostage des boues épuratoires par la société Soil-Concept au Fridhaff (voir ci-dessous). Le bureau d'études a également inventorié les différentes technologies de traitements existantes sur le marché à l'heure actuelle.

Dans une deuxième étape, différents scénarios ont été développés à l'aide des données inventoriées. Chaque scénario a été évalué selon des critères économiques, environnementaux et techniques. L'étude technique a ainsi conclu qu'il conviendrait de construire trois centrales de traitement à lit fluidifié décentralisées, ayant chacune une capacité de traitement d'environ 5.000 tMS/an. Une approche décentralisée avec jusqu'à trois sites de recyclage a été recommandée afin de minimiser les transports tout en augmentant la redondance et la flexibilité de traitement. Il faudrait construire 2 centrales à court terme, afin que la sécurité de l'élimination puisse être garantie sans dépendances externes, et une centrale serait à construire dans un deuxième temps pour répondre à l'augmentation constante de boues épuratoires. La mise en œuvre sur les trois sites doit être échelonnée dans le temps. De cette manière, il est possible de réagir à l'augmentation prévue des quantités de boues d'épuration sans générer en même temps un excès ou une sous-capacité des stations de traitement.

Analyse de l'activité réalisée par la société Soil-Concept

Comme mentionné plus haut, le bureau d'études a passé en revue les différentes utilisations actuelles des boues épuratoires au Luxembourg, dont figure également les activités de la société Soil-Concept SA. Pour réaliser ce travail, le bureau d'étude a mené divers entretiens et réunions avec les responsables de la société permettant d'analyser différents éléments, à savoir: la situation actuelle du compostage des boues d'épuration, l'installation expérimentale de gazéification et les opportunités d'exploitation futures.

En ce qui concerne le compostage des boues épuratoires, l'étude conclut que la société Soil-Concept SA mélange actuellement des boues épuratoires avec des déchets verts. Ce mélange est par la suite censé être réutilisé, notamment comme engrais. Or, la demande est actuellement tellement faible, que seul une partie infime (0-10 %) du substrat est utilisé. La quasi-totalité du substrat s'accumule donc sur le site de l'entreprise. Sachant que les boues épuratoires contiennent différents éléments polluants, comme par exemple des métaux lourds, des médicaments ou des micro-plastiques, une utilisation du substrat de mélange aurait comme conséquence que ces éléments seraient redistribués un peu partout à travers le pays et dans la nature.

En ce qui concerne l'installation expérimentale de gazéification, il s'avère que l'installation actuellement en place est une installation d'essai développée dans le cadre d'un projet de recherche. L'épuration des gaz et la production d'électricité ne faisaient pas partie du projet de recherche et l'installation expérimentale n'est dès lors pas équipée. De plus, le bureau d'études conclut que vu que la société Soil-Concept SA mélange des boues épuratoires avec des déchets verts, une dilution de la teneur en phosphore a lieu, ce qui rend la récupération de phosphate plus difficile et non-économique.

En ce qui concerne les opportunités d'exploitation futures, l'objectif de la société Soil-Concept SA est de commercialiser le compost de boues d'épuration comme substrat de remise en culture. Or, en mélangeant un déchet avec un autre déchet, le produit y résultant continue à être considéré comme un déchet étant donné qu'aucun traitement n'a altéré le substrat. Dès lors, cette filière mentionnée ne présente aucun potentiel de marché.

Pour ces raisons, l'étude conclut que l'entreprise Soil-Concept SA ne répond pas aux objectifs fixés en matière de gestion durable des boues épuratoires, et ne peut dès lors pas contribuer à une solution à l'échelle nationale.

2. Les installations de Soil-Concept SA

Il y a lieu de préciser que selon la loi du 29 mars 2016 portant réorganisation de l'Administration de l'environnement, l'AEV est notamment en charge de:

  • l'élaboration et la promotion des conditions d'exploitation des établissements et d'exécution d'activités en relation avec l'environnement en tenant compte des meilleures techniques et pratiques disponibles;
  • la surveillance et le contrôle de l'application des prescriptions légales.

Dans ce contexte, l'Administration de l'environnement réalise en moyenne 161 inspections par an auprès d'établissements, dont fait partie la société Soil-Concept SA.

Situation concernant les autorisations

En 1998, l'installation de compostage de boues d'épuration et de matériaux de structure (déchets de jardins et de parcs, etc.) de la société Soil-Concept SA a été autorisée par le ministre ayant dans ses attributions l'Environnement.

Les autorisations y relatives [1] ont été accordées au titre de la législation relative aux établissements classés (commodo) et au titre de la législation relative aux déchets. Ces autorisations ont pour objectif de protéger l'environnement des impacts induits par ces installations (émissions dans l'air, dans l'eau, dans le sol, etc.).

Les autorisations ont été mises à jour en 2010. À cette occasion, entre autres, l'aménagement et l'exploitation d'une installation "pilote", expérimentale, pour tenter la gazéification d'un mélange de compost à base de boues d'épuration, de déchets biodégradables et de matériaux de structure ont été autorisés.

La durée des essais pour cette installation expérimentale a été limitée par mesure de précaution à 5 ans. En effet, du fait qu'il s'agit d'un nouveau procédé, traitant des mélanges de matériaux et de déchets, l'exploitant n'a su renseigner sur les impacts environnementaux qui en résultent. Pour cette raison, les autorisations instauraient l'obligation pour l'exploitant de transmettre des rapports sur des essais. Les essais devaient permettre de déterminer l'impact environnemental de ce traitement en fonction des variations de la matière à traiter et évaluer les impacts environnementaux d'un déploiement de la technique à échelle industrielle.

Ces autorisations d'exploitation ont dû être prorogées à plusieurs reprises (les essais n'ont pas pu être réalisés comme prévus, des installations qui n'ont pas pu être livrées, autres problèmes de fonctionnement…). Au final, les essais n'ont commencé qu'en septembre 2015 et étaient donc autorisés jusqu'en 2020. À la demande de l'exploitant, une nouvelle prolongation de la durée des essais lui a été accordée: ceci jusqu'à septembre 2022.

Des modifications au niveau du traitement thermique (incl. co-/incinération) régulier à échelle industrielle, nécessitent des nouvelles autorisations en accord avec les législations relatives aux établissements classés, aux déchets et aux émissions industrielles. L'Administration de l'environnement en a informé la société en juillet 2020.

À ce stade l'AEV n'a pas reçu de demandes d'autorisation y relatives.

À préciser que cette échéance ne s'applique pas aux autres installations de l'établissement qui restent autorisées au-delà de cette date.

Conformité de certaines installations exploitées par Soil-Concept SA

Depuis des années, l'Administration de l'environnement, dans le cadre de sa mission de suivi, est en étroit contact avec Soil-Concept SA. Malgré des échanges réguliers par courrier, en réunions sur place, par téléphone et e-mail, l'exploitation de Soil-Concept SA n'est toujours pas conforme à toutes les obligations légales.

À titre d'exemple, concernant le stockage sur site de volumes de déchets verts et de compost de boues d'épuration, il y a lieu de constater que ceux-ci dépassent nettement le volume autorisé, ce qui a un impact notamment sur la situation olfactive, les poussières et l'évacuation des eaux (le fonctionnement correct des avaloirs sur le site n'est plus assuré).

De tels volumes ne s'accumulent pas de façon soudaine, ni seulement depuis l'intervention des agents en date du 20 janvier 2021. Telles que témoignent les images aériennes disponibles sur "geoportail.lu", ces accumulations se font depuis plusieurs années. Déjà en janvier 2017, les services de l'AEV avaient par ailleurs rendu l'exploitant attentif à ce fait lors d'une réunion de concertation.

Il est du devoir de Soil-Concept SA, comme pour toute autre société, de respecter toutes les conditions des autorisations d'exploitation, ce qui visiblement n'est pas le cas.

Au sujet des repreneurs de compost à base de boues d'épuration

Selon la législation applicable en la matière, les boues d'épuration sont à considérer comme un déchet, indépendamment du fait qu'elles ont été soumises à un processus de compostage ou non.

Si donc les boues compostées continuent à être un déchet, la loi modifiée du 21 mars 2012 relative aux déchets leur est applicable. Cette loi reste applicable tant qu'il n'est pas démontré, entre autres, que leur utilisation n'aura pas d'effets globaux nocifs pour l'environnement ou la santé humaine.

Par conséquent, leur traitement et leur valorisation ultérieurs sont des opérations soumises à une obligation d'autorisation préalable sur base de la législation précitée. C'est dans ce contexte que les courriers adressés par l'Administration de l'environnement aux repreneurs de boues d'épuration compostées de Soil-Concept SA indiquent qu'il leur faut une autorisation pour procéder à leur traitement supplémentaire.

Au sujet du RAL- Gütezeichen

L'attribution par la "Bundesgütegemeinschaft" du sigle "RAL-Gütezeichen" en matière de "AS-Fertigkompost" étant certes un atout, ce sigle n'équivaut toutefois pas une certification de produit (= non-déchet) et ne dispense pas non plus l'exploitant de respecter les dispositions légales et règlementaires applicables ainsi que les conditions des arrêtés d'exploitation.

 

[1] 1/97/0180 du 4 août 1998 et 97/UC/01 du 17 septembre 1999 

Communiqué par le ministère de l'Environnement, du Climat et du Développement durable / Administration de l'environnement

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